23 avril 2008
« Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre. » Thomas Jefferson, lointain prédécesseur de Doubleyou, en savait quelque chose, lui qui estimait que les esclaves de ses plantations ne méritaient, précisément, ni l’une ni l’autre. Il pensait donc assurer leur sécurité en les privant de liberté, et faisait leur bonheur, quelque part. Malgré eux. Cette démonstration par l’absurde, le Gédéon aime à la reprendre s’agissant de la radio aéronautique. Regarde.
Alors parce qu’on nous dit que « si, la radio, c’est vachement très bien pour savoir qui est où et fait quoi, et que du coup tu peux découvrir un trafic que t’avais pas vu, tout ça. » Ah. Gédéon, lui, autour de son bois, ils n’ont qu’à venir y causer, dans leur radio. Il n’en a pas, lui, de radio, et voici pourquoi : pas besoin, autour du bois. Oui, mais d’autres font un peu plus que leur tour de bois, et ont besoin de causer aux messieurs qui leur disent s’il fait beau, s’il y a du monde et tout. Là, à la limite, ok. D’ailleurs, c’est pour ça qu’on l’a inventée, la radio. Pour que les gens qui viennent chercher leur famille dans les aéroports n’attendent pas trop, grâce que le pilote a prévenu, par la radio, que « ça roule super mal on va être grave à la bourre. »
Là, ok, pour les ceux dont c’est le métier de prévenir, et qui ont pour consigne de faire ce que d’autres, en bas, leur disent de, il ne voit pas tellement d’autres solution que la radio, le Gédéon. Mais ici, on cause des pilotes du dimanche qui volent derviche autour de leur terrain, et qu’on leur dit aussi que la radio c’est la sécurité, puis c’est tout. D’ailleurs bien souvent, ils sont contents avec ça, que ça leur donne un peu des airs de ceux de ceux qui sont payés pour.
Il réfléchit, le Gédéon, au cas où ça se verrait pas. On connaît tous l’avis d’Einstein sur les vertus respectives de la théorie et de la pratique. Gédéon va plus loin, et y ajoute, à ces branlages de cerveau, l’observation.
Par la comparaison, d’abord. Il observe, le Gédéon, qu’on dit aux pilotes de machines volantes qu’il faut causer dans le poste, que c’est bon pour la sécurité, tout. OK. Dans le même temps, ces pilotes, lorsqu’ils se rendent au terrain, en honnêtes automobilistes, on leur dit que s’ils causent dans le poste ça leur donnera droit à deux points à valoir sur leur carte de fidélité au photomaton autoroutier. Pas grave, on prend le bus. « Pas causer au conducteur ! » Et pourquoi, qu’en voiture automobile il ne faut pas causer ? A cause que c’est pas bon pour la sécurité !
Ah, et en avion, ça serait bon pour la sécurité ? C’est ce qu’ils disent, en effet, à quelques nuances près : faut pas causer lors du décollage et de l’atterrissage, pour rester concentré ! Au truc ulmique de Blois, qui est sans doute le plus grand rassemblement de machines volantes de France, on te dit de pas causer, mais de regarder !
Et pourquoi que tout d’un coup il faudrait regarder, plutôt que de causer ? Parce que le regardage est beaucoup plus efficace que le causage… visiblement, ils le savent, les ceux qui donnent ces consignes.
Bon. Mais tout ça, ça reste encore de la théorie. Tous ceux qui utilisent la radio s’accordent à dire qu’ils se sentent beaucoup plus en sécurité, à cause que ça leur permet de savoir qui est où sans avoir à chercher des yeux. C’est imparable, cet argument-là, et ça devrait le calmer pour longtemps, Biyanvrac. Peut-être, mais le Gédéon, lui, on l’a vu, ne se fait une opinion que sur des faits.
Et des faits, en voici. Le BEA, bureau d’analyse des accidents aériens, publie sur son site Internet une étude sur les abordages. Un zabordage, c’est quand deux avions se rentrent dedans en plein vol, et qu’après ils ont tendance à marcher un peu moins bien. Entre 1989 et 1999, il y en a eu 17 abordages, qui ont causé 42 morts, et 9 blessés.
Si t’es pas assis, pose donc ton cul, avant de lire la suite. Sur la période observée, 100% des abordages ont eu lieu entre deux avions qui se causaient, ou croyaient se causer !
Tu peux lui dire ce que tu veux, au Gédéon, et tourner le problème dans tous les sens (c’est ce qu’il a fait, avant de l’ouvrir), cette étude prouve que sur la période observée, le seul moyen d’échapper à l’abordage eut été que personne n'utilisât la radio !
Et pourquoi, alors, que ce qui semble si beau sur le papier ne fonctionne pas en vrai ? Parce qu’en vrai, l’usage de la radio fait que l’on oublie plus ou moins de regarder. C’est ce qu’ils appellent le facteur humain, que ça aussi le Gédéon en causera, et qui si tu veux pas rater ça, t’as qu’à t’abonner c’est gratuit ici à droite.
« C’est une chose étrange à quel point la sécurité de la conscience donne la sécurité du reste » disait Victor Hugo. Les misérables ne sont plus là où on le croit.