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Le Cap Nord en pendulaire !

Article paru dans ULMiste n°10, juin 2012

 

Revanche sur le Cap-Nord

 

Henry de Lavenne

 

Depuis le récit de notre maître à tous, Olivier Aubert, qui le survola en 1995, je rêvais à ce sacré Cap Nord. Eh oui, 16 ans déjà ! A l’époque, je n’étais pas peu fier de descendre en Espagne, pendant que mon gourou se tapait tranquillement un Cap au Cap.

Si le Javanais n’a aucun secret pour moi, l’Anglais par contre s’apparente à du Chinois. Oui, je sais, depuis des lustres je vous casse les pieds avec ce problème. Vous vous demandez pourquoi je n’ai pas pris le temps d’apprendre la langue de Shakespeare. Eh bien un, je suis à l’âge où je cherche mes mots en français et, deux, je dois surtout reconnaître que je suis un gros fainiassou. Il me faut donc trouver un compagnon de voyage qui comble cette carence. En 1997, Je finis par passer une annonce dans Vol Moteur et me voilà, tel un DRH en train de dépouiller les candidatures. Je tombe sur l’homme idéal, pilote avion, ULM et surtout delta (ce qui, pour moi, représente une certaine philosophie du vol). Prétextant la recherche de sponsors, du temps qu’il lui faut pour s’occuper des fleurs de son jardin et de sa chatte qu’il doit cajoler et j’en passe…. il repousse sans cesse le grand départ. Gros benêt que je suis, je mettrai plusieurs années à m’apercevoir qu’il voyage uniquement dans sa tête pleine de problèmes.

 

Premier essai 

 

En 2007, Je profite d’un Rallye ULM pour effectuer le tour de la Pologne avec ma femme. A Szczecin, je la remplace par un Nantais possédant un passeport Irlandais. Après avoir survolé la Lithuanie, la Léthonie, l’Estonie et le golfe de Finlande, nous terminons dans un marécage du côté de Vaasa, suite à une panne moteur. Petits joueurs, nos Finlandais refuseront d’homologuer notre superbe double salto avant ! Retour à la case départ.

 

Le compagnon idéal

 

Blois 2010, mon délicieux compagnon de vol africain, Jérôme Prompsy, me présente Jean-Marc Chevallet à qui je propose illico la botte. Il plonge dedans aussi sec. Autant je suis souvent carrément « border line Â», autant Jean-Marc, instructeur ULM, est carré et précis. Remorquant mon Quik en mars 2011, pour profiter de ma semaine montagne à l’Alpe d’Huez, nous faisons le point chez lui du côté de la Tour du Pin. Il en décollera le 30 mai avant la dépression que je subis en Vendée.

 

Belgique

 

Ce n’est donc que le lendemain que nous nous retrouvons à Liernu. Un peu fatigué par mes 5 h 30 de vol mouvementé, Alain Hanse aura la surprise de découvrir un pauvre hère, ronflant comme un bienheureux, vautré au milieu de sa forêt de Quik dont il est le représentant européen.

Nous remontons tranquillement la Belgique, un petit bout de Hollande et d’Allemagne pour atterrir à Maribo au Danemark au milieu d’un rassemblement de vielles bagnoles. Le 1er juin étant le jour de mon anniversaire, un Danois passionné nous conduira à l’hôtel au volant de sa  magnifique Ford T 1921 décapotée.

 

Suède

 

Le lendemain, le club avion de Kristiansad, nous fait bénéficier de son barbecue. Nous ferons connaissance avec des moustiques particulièrement agressifs sur la plate forme ULM de Frolunda, dans la banlieue ouest de Stockholm. Contrairement à ce que l’on nous avait affirmé, ce sera pratiquement la seule fois de tout notre voyage. Je pense que nous le devons à notre perspicacité d’être partis tôt dans la saison. Nous montons nos tentes dans un hangar, fermées par une bâche, pour essayer de nous en protéger.

Jean-Marc me fait part de sa satisfaction de sa nouvelle aile Magic DTA, sans mât, qui coiffe avantageusement son Tanarg.

Nous avons été surpris et secoués dans des thermiques musclés tout le long de la Suède, avec des atterros costauds, comme à Härnösands où je me fais carrément éjecter de la piste.

Nous passons une journée délicieuse dans cette petite ville typique aux charmantes maisons colorées et laissons passer un petit vent qui cassera quelques arbres, dans la région ! Nous pique-niquons au milieu du marché en goûtant aux spécialités du pays, comme par exemple, de délicieux canapés recouverts de harengs grillés à l’échalote. A Pitea, notre dernière ville Suédoise au bout du Golfe de Botnie, la piste est investie par une course de dragsters. Des voitures de tout acabit  terminent leurs pétarades d’enfer devant nos yeux, ralenties par d’immenses parachutes. Le chef de piste arrête la course pour nous laisser décoller !

 

Finlande

 

Nous passons le cercle polaire et atterrissons à Kittila, en Laponie Finlandaise, dans des bourrasques  terriblement fortes et travers pistes. Nous allons nous planquer derrière la tour de ce gigantesque aéroport totalement vide, quand un espèce de « demeuré Â» que nous prenons pour le gardien, arrive à vélo. Explosé de rire devant nos pauvres trapanelles. Il n’a jamais vu de pendulaire et n’en revient pas que nous ayons pu venir de France avec des engins pareils. Les yeux écarquillés, il se tape les mains sur les cuisses en ne pouvant pas s’arrêter de s’esclaffer. Il finit par nous écraser la main dans un shake hands, plus que viril. En fait, c’est un très sympathique pilote privé qui nous emmène chercher de l’essence, saluer sa femme et qui nous propose un tour dans son avion. Nous n’en avons réellement aucune envie, mais devant tant de gentillesse, nous ne pouvons qu’accepter. L’avion, datant de la dernière guerre, démarre dans une pétarade fumante. Il se fait un plaisir de nous montrer « LA Â» station de sports d’hiver Finlandaise. Le relief est aussi important que les terrils de notre schnord. Après quelques rases mottes sur des rennes, il nous pose sur une petite piste où il termine la construction d’un bungalow en bois avec tout le confort et, comme dans toutes les maisons Finlandaises, l’indispensable sauna. Il nous montre où il cache la clef pour que nous puissions en profiter autant que nous le voulons. Mais, il faut avancer. Nous continuons sur Ivalo, immense aéroport fermé. Il est vrai qu’il est tard, et, nous avions oublié que nous étions, déjà, dans la région où le soleil brille 24h/24. Nous ouvrons un hangar, poussons un bimoteur, rentrons nos machines et montons nos tentes à l’intérieur  pour nous protéger du froid cinglant.

 

The Nordkapp

 

Nous sommes le 6 juin. C’est le jour de l’appel… du Cap Nord. Au sol, plus d’arbres ; de la lande, des rivières entrecoupées de lacs et puis, d’un seul coup, à la frontière Norvégienne, le paysage change totalement. Des petites montagnes avec des strates noires alignées nord/sud et de plus en plus recouvertes de neige. Le soleil brille et le vent devient raisonnable. Nous sommes très impressionnés par tant de beauté angoissante. Nous passons plusieurs bras de mer. Nous sommes dans le Finnmark, en approche d’Hammerfest, avec sa piste terminant sur la mer. Les Norvégiens sont hyper carrés et méfiants. Ils ne nous laissent jamais seuls sur le tarmac. Plus de vent au sol et pourtant à 3000 pieds, nous sommes boostés sur le Nordkapp à 195 km/h dans un air particulièrement calme. Nous nous attardons à contourner ce fameux cap à la latitude de la moitié du Groenland et admirons ces falaises de 300 m de haut, puis allons atterrir à Honningsvag à 30 km de là. Nous sommes bloqués 4 jours et avons tout le temps de découvrir ce petit port de pêcheurs aux minuscules maisons en bois aux multiples couleurs. De grands séchoirs à morues dominent le port. L’express côtier Hurtigruten lâche journellement son flot de touristes. Nous payons le car une fortune pour retourner voir le Cap en touriste moyen. Ce ne sont pas moins de 3 ou 4 postes de péage, style autoroute, qui vous donnent droit à l’entrée de cet espace plat comme la main. Autant le site est grandiose en vol, autant au sol il ne représente aucun intérêt. Au milieu, ils ont eu la riche idée d’y construire un énorme super marché à touristes. Vous pouvez acheter une peau d’ours en véritable acrylique et, bien sûr, le Cap dans son globe neigeux. Nous rentrons la mine basse, pas très fiers de notre expédition et sommes contents de retrouver notre auberge de jeunesse à 100 € la nuit, pour 2 petits lits dans une chambre style hôpital ! Jean-Marc dépouille toutes les météos, 10 fois par jour. Je ne savais même pas qu’il existait autant de sites. Je lui ressors régulièrement son célèbre « non Henry, broken 1500 pieds, on ne vole pas Â». Je le charrie un peu et le pousse gentiment à la faute, tout en sachant qu’il a totalement raison. Nous sommes dans des régions totalement isolées. Moi qui adore me poser n’importe où quand les conditions météo se dégradent, ici, si vous réussissez à vous poser, vous percutez votre balise et le temps que les civilisés se réveillent vous avez dix fois le temps de vous faire becqueter par un gros nounours. Nous avions négocié une pêche au King’s crab, quand un petit créneau se présente et nous décollons. 100 bornes et nous ne passons pas les premiers reliefs…

 

Père Noël

 

Nous sommes contrains de nous dérouter sur le terrain militaire de Banak. Le lendemain, nous repassons à Ivallo et survolons Rovaniemi et Napapiiri, le village du père Noël sur le cercle polaire, un coup de marketing fabuleux des finlandais pour attirer tous les gogos de la terre !

 

Vaasa

 

La météo franchement moyenne ne nous permet que des petits vols qui nous laissent le temps de visiter Oulu et Kokkola. Enfin, je survole l’endroit de ma galipette. Mon GPS en avait gardé l’impact en mémoire, alors que moi, je n’ai, encore aujourd’hui, aucun souvenir d’avant l’arrêt moteur jusqu'à l’hôpital. Mon passager, à qui j’avais servi d’airbag, m’avait bien raconté l’atterro, mais je préférais m’en rendre compte par moi-même. J’ai effectivement constaté que je n’aurais pas pu vraiment faire mieux. Arrivés à Vaasa, je sors ma bouteille de Bordeaux que je traîne depuis la Vendée et trinque avec le personnel de l’aéroclub. Un vieux chef pilote de plus de 80 ans qui se souvient très bien de mon Chapelet bien amoché, en vide cul-sec son grand verre de Medoc. Ma revanche est un plat qui se boit bien.

Nous sommes encore bloqués une journée et je suis ravi de visiter Vaasa que je n’avais pu voir en y étant pourtant resté 8 jours. Nous sommes reçus par un pilote français qui vend des volumineuses machines à découper les arbres. Le lendemain, nous avons un gros créneau que nous ne laissons pas passer, car nous n’effectuons pas moins de 1000 bornes en 8 h 50 de vol : fabuleux ! Nous ravitaillons à Porri et traversons le golfe de Botni et ses 150 km de flotte, en survolant l’archipel d’Aland, contournant Stocholm par le Nord et retrouvons Frolunda. Cette fois-ci, nous avons pris la précaution de les appeler et ils sont là pour nous abreuver de 98 à la pompe. Jonkoping et nous arrivons sous la pluie, un peu k.o., mais heureux d’être à Hoganas au bout de la Suède. Site merveilleux et gens merveilleux. Club house avec cuisine et chambre à disposition. Vous piochez dans le frigo, vous prenez les vélos pour visiter le village et son port. Comme le temps est toujours bouché, nous prenons le train pour Copenhague, y passons la nuit et rentrons en ferry. Nous forçons un peu et traversons le Danemark d’une traite, sommes contraints de passer un peu bas sur l’eau pour le passage en Allemagne. Après avoir slalomé entre de méchants gros nuages, nous jetons l’éponge devant un mur de flotte et ne choisissons pas la petite piste détrempée de Wissmar, en bordure de la mer Baltique. Comme à l’habitude, nous faisons le tour du propriétaire et apercevons une voisine qui nous claque la porte au nez. Il n’arrête pas de pleuvoir. Nous installons notre réchaud dans un petit local pourri pour cuire nos nouilles habituelles quand la police arrive, gyrophare en marche, avec la voisine dans leur ombre ! Papiers, téléphone au propriétaire et dodo. J’ai la tête sous le lavabo, la main dans les chiottes et les pieds dans la douche, pendant que Jean-Marc en z dans le cagibi, essaye d’oublier mes ronflements qui font trembler la casemate. Après cette délicieuse nuit, je mets le contact et rien. Mon coéquipier se transforme en MacGyver, vire le contacteur qui débloque, teste les fils et me bidouille un truc qui marche. Hildesheim, puis, à cause de la pluie, nous marchons en zigzag, changeons plusieurs fois de destination et sommes parfaitement bien accueillis sur la piste de Grefrath, interdite aux ULM non basés. Les ULMistes basés nous font profiter d’un bon hôtel-restaurant qui nous réconcilient avec la vie. Après Liernu, nous nous quittons sur la frontière Française. Je dors à Reims chez mon fils, tandis que Jean-Marc est stoppé par un vent fou, à 80 km de chez lui. Jusqu’au bout, ce retour aura été vraiment pénible. Verticale Etampes, j’entends la tour annoncer 40 nÅ“uds de vent dans le pif. J’avance à 55 /60 tout tiré. Je dois vider mon bidon dans mon réservoir, ne peux me poser sur une piste travers au vent et me pose en désespoir de cause sur une piste interdite mais fermée. Je me cache à l’abri du vent et transvase. Je redécolle, et là mon GPS perd ses satellites. Depuis que j’ai le super GPS qui va bien, ce problème ne m’était jamais arrivé. Je roule à l’estime pendant 45 minutes et finis par arriver au Mans où le beau père de mon fils m’attend patiemment. Je terminerai ce périple par, enfin, un vol normal.

7 jours pour aller et 17 jours pour le retour !

 

Quand un objectif est tracé, il faut le boire jusqu’à la lie, sinon… on n’ose plus se regarder dans la glace !

 

J’ai subi parfois des années horribilis, mais 2011 aura été une année bonheur. L’année des extrêmes, puisqu’elle m’aura permis de connaître les 2 extrémités de la terre. Le 6 juin le Cap Nord et le 20 novembre le passage du Cap Horn sur un bateau à voile (juste pour avoir le droit de pisser au vent), mais ceci est une autre histoire…

 

Henry de Lavenne

 

Photos : Jean-Marc Chevalet et Henry de Lavenne

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