Voler en hiver (2)
Article paru dans ULMiste n° 21, décembre 2015
Voler en hiver… et au début du printemps
Les différents types de temps
Lors du dernier épisode, nous avons étudié les conditions hivernales anticycloniques avec leurs avantages et aussi malheureusement tous leurs inconvénients. Aujourd’hui, nous allons regarder des conditions plus dynamiques : un grand classique du genre : le flux d’ouest perturbé…..
Petite précision d’abord : notre beau pays subit tout au long de l’année différentes influences climatiques : océaniques notamment lorsque les vents d’ouest s’installent (programme du jour), continentales aussi et c’est ce que nous avons vu la dernière fois. Bien que situé aux latitudes tempérées, la France métropolitaine est parfois exposée aux assauts d’air polaire ou d’air subtropical. Et le problème, c’est qu’on ne choisit pas.
Il faut aussi vous préciser qu’une situation météorologique ne se reproduit jamais exactement, parfaitement à l’identique. Aussi, nos amis météorologues ont pris l’habitude de distinguer des situations « types », caractéristiques de notre climat. Celles-ci sont définies par les mouvements de l’atmosphère ou encore du flux. Elles sont identifiables par le positionnement des centres d’actions (anticyclone et dépression) et aussi par l’origine des masses d’air en présence.
Pour commencer une analyse météorologique, les prévisionnistes regardent la circulation de l’air en altitude, généralement au niveau de pression 500 hPa (en gros 5500m) ce qui correspond approximativement au milieu de la troposphère. Ce niveau n’est pas le plus représentatif, mais on a pris l’habitude de l’utiliser, car il correspondait à l’altitude moyenne des bombardiers américains, lors de la 2eme guerre mondiale. Il a déjà l’avantage de s’affranchir des interactions avec le relief. Grâce à lui, on peut considérer les conditions sur une grande échelle, au niveau de l’Europe, par exemple. Précisons ensuite, qu’à chaque situation, correspond un temps sensible, c’est-à-dire des phénomènes particuliers et remarquables : temps pluvieux, venteux, ensoleillé, froid, etc. Le temps sensible dépend de la saison et de la localisation géographique. Un flux perturbé de nord-ouest n'aura pas les mêmes conséquences en hiver ou en automne, à Lille ou à Marseille.
Nous allons donc passer en revu les différents type de temps
Les conditions anticycloniques : celles qu’on a évoquées la dernière fois. De telles conditions s'observent lorsque la France se trouve protégée du flux perturbé par un anticyclone. Il peut s'agir de l'anticyclone des Açores qui, en se décalant sur notre pays, repousse le rail des perturbations plus au Nord, vers les Iles Britanniques notamment. On retrouve alors en altitude une zone de haute pression associée à de l'air relativement chaud qui recouvre la France. En hiver, on peut trouver aussi une excroissance de l’anticyclone de Sibérie qui nous ramène un air particulièrement froid et sec.
Dans ce genre de conditions et bien trop souvent à mon goût, il faut supporter durant la période hivernale, un temps triste et gris en plaine, à cause des grisailles persistantes (brouillard et/ou nuages bas), qui peuvent même apporter un peu de bruine ou quelques flocons. Cette humidité en surface est piégée par l'anticyclone qui agit comme un couvercle. De plus, en hiver, le sol et par extension les premiers niveaux de la troposphère se refroidissent plus vite. Il arrive alors fréquemment qu'il fasse plus froid en surface que vers 1500 m d'altitude. On parle alors de couche d'inversion.
Ce phénomène d'inversion s'observe aisément en montagne : les sommets bénéficient d'un temps doux, ensoleillé et d'une très bonne visibilité ; tandis que les vallées, cachées par une mer de nuages, connaissent un temps gris et froid. Lorsque l'air est plus sec (influence continentale) et que le ciel reste dégagé la nuit, de fortes gelées sont à craindre. En l'absence de couverture nuageuse, le sol rayonne toute la nuit et le thermomètre peut alors afficher des valeurs très basses.
Figure 1 : conditions anticycloniques en flux d’est à nord-est, favorables aux grisailles persistantes, l’hiver et l’automne. Par contre au printemps, temps sec et calme, avec de grandes amplitudes thermiques entre le jour et la nuit.
Après, on passe au régime de sud-est, toujours anticyclonique. Cette situation est peu fréquente et ne dure généralement pas trop longtemps. Il faut comprendre que l’affaissement progressif de l’anticyclone va ouvrir la route des perturbations. Si celles-ci ne sont pas actives sur la Méditerranée ou encore suffisamment loin sur l’Atlantique et en attendant qu’elles arrivent, on peut réaliser de beaux vols. Et en toutes saisons, car les conditions anticycloniques se réchauffent et s’assèchent par le bas.
Figure 2 : conditions anticycloniques en flux d’est à sud-est, conditions idéales pour faire de beaux vols.
On arrive maintenant au sujet du jour, le flux d’ouest perturbé et sa variante, le flux de sud-ouest, qui a lui aussi, a la bien mauvaise idée d’être tout autant perturbé.
Cette situation entraîne un défilé rapide de perturbations sur notre pays. Le flux d'ouest perturbé est généré par une zone de basse pression associée à de l'air froid en altitude sur l'Atlantique Nord et par l'anticyclone positionné sur les Açores. Celui-ci se manifeste par de l’air chaud subtropical en altitude. Entre ces deux centres d'action, le flux plus ou moins rapide circule d'Ouest en Est au-dessus
de l'Atlantique. L'humidité apportée par l'océan et les gros écarts de température entre les masses d’air, sont propices à la formation de perturbations actives qui balayent ensuite toute la France. Le temps est très maussade avec des pluies fréquentes et du vent soutenu. Mais dans les intervalles (c’est comme au rugby, il faut prendre l’intervalle), on trouvera souvent le temps de faire de beaux vols.
L'origine océanique de la masse d'air a pour effet de modérer les températures : elles seront généralement fraîches en été et douces en hiver.
Figure 4 : une variante : le flux de sud-ouest perturbé.
Figure 3 : situation classique en flux d’ouest perturbé, avec un anticyclone positionné au sud et une dépression se déplaçant au nord.
Le flux d’ouest perturbé
Exemple, étude d’une situation classique, de fin d’hiver ou de début de printemps : le 26 mars 2015. L’ensemble des informations relatives à cette situation ont été collectées sur le site Aeroweb. Je vous rappelle que celui-ci est entièrement gratuit et sans publicité. Pour vous inscrire, il vous faut juste un numéro de licence aérienne et une adresse mail.
Imaginons que le 25 au soir, notre ami pilote en herbe décide d’envisager un petit vol le 26 au matin, sur un terrain du centre de la France. En regardant les cartes « front et isobares » prévus pour le lendemain, il constatera l’arrivé d’un front chaud puis d’un front froid (figure5 et figure 6).
Figure 5 : La carte des fronts le 26 mars à 00h00 UTC, nous montre la présence d’une perturbation (front chaud et front froid) sur le proche Atlantique.
Figure 6 : La carte des fonts prévus le 26 mars à 12h00 UTC, visualise le déplacement de cette perturbation, ainsi que l’arrivée de front chaud en début d’après-midi.
Au regard de ces informations, le pilote peut s’interroger : aurais-je le temps de faire mon petit vol demain matin ? Il lui faut donc affiner l’analyse en visionnant les Radiosondages prévus, celui de Bourges notamment.
En regardant le radiosondage prévu le 26 mars à 09h UTC (figure 7), on constate que dans les basses couches, la courbe de la température de l’air (que l’on appelle aussi courbe d’état, représentée ici en noir) est bien espacée de la courbe des humidités ( que l’on appelle aussi, courbe de la température du thermomètre mouillé, représentée ici en bleu). Sachez que plus l’écart entre ces deux courbes est important, plus l’air est sec. Donc, mis à part le petit pincement au sol qui pourrait représenter un peu de brouillard vite dissipé par le vent, on en déduit qu’il n’y à pas de nuages entre le sol et 700 hPa (environ 3000m). Question nébulosité et plafond, pas de problème pour voler. Au-dessus de 700 hPa (environ 3000m) par contre, les deux courbes se rejoignent. L’air ainsi saturé en humidité indique la présence de nuages élevés, qui vont s’épaissir avec l’arrivée de front chaud.
On peut confirmer cette information avec l’étude de la photo satellite (figure 10).
Figure 8 : En regardant de plus près le Rs, on constate que dans les basses couches, il existe un bon écart entre la courbe des températures (noir) et la courbe des humidités (bleu). On en déduit que l’air est sec (pas de nuage) entre le sol et 700 hPa (en gros 3000m).
Figure 7 : Radio sondage prévu du 26 mars à 09h UTC.
Figure 9 : En zoomant sur le Rs prévu, on remarque qu’en altitude, les deux courbes bleue et noire se confondent. On en déduit que l’air est saturé au-dessus de 700 hPa (en gros 3000m). Ceci nous indique la présence de nuages élevés, peu gênant pour notre vol.
Figure 10 : l’image visible du 26 mars à 08h00 UTC, (09h00 local), nous montre l’intervalle entre les deux perturbations.
Seul inconvénient de cette journée de vol : le vent de sud qui se renforce et qui tourne à l’ouest en altitude. De secteur sud, 10 nœuds (en gros 20 km/h) au voisinage du sol ; de secteur sud-ouest 15 nœuds ( en gros 30 km/h) vers 1000m ( 900 hPa) ; de secteur ouest 20 nœuds (en gros 40 km/h) vers 1500m (850 hPa). Cette évolution du vent avec l’altitude peut générer des turbulences importantes et rendre le vol dangereux.
Figure 11 : Radio sondage prévu du 26 mars à 15h UTC.
Pour résumer cette analyse rapide de la situation météorologique, on constate que le créneau pour un vol local est étroit avant la dégradation et que l’on doit prendre en compte le vent modéré qui se renforce ainsi que toutes les turbulences qu’il peut engendrer au voisinage du sol.
Les phénomènes ondulatoires
Ces situations de flux d’ouest perturbé peuvent générer de fortes turbulences sur toute l’épaisseur de l’atmosphère, notamment lorsque le flux rencontre perpendiculairement un relief, principalement une chaîne montagneuse. C’est ce que l’on appelle : les ondes de relief, ou encore : les ondes de ressaut. Car l’atmosphère peut être le siège de phénomènes ondulatoires verticaux. Imaginez un volume d’air emporté par le vent et attiré vers le bas en aval d’une montagne. Il se comportera mécaniquement, à l’image d’un poids suspendu à un ressort. Il oscillera de part et d’autre de son point d’équilibre, tout en se déplaçant horizontalement. Ces ondes se développent sous le vent
des chaînes montagneuses ou d’autres reliefs qui font obstacle au flux de l’air. Elles s’amortissent ensuite progressivement en aval de l’obstacle. Elles se présentent sous la forme d’ondes stationnaires. Comprenez que c’est le relief qui entraîne la formation du sommet et du creux des « vagues ». Ces creux et ces ventres restent donc immobiles derrière l’obstacle.
Si l’humidité est suffisante, des nuages stationnaires en forme de soucoupe volante, apparaissent aux sommets des vagues, dans le flux laminaire. On les appelle nuages lenticulaires, ou encore nuages orographiques. Leur présence immobile doit attirer votre attention. Car dans les basses couches, il faut craindre un flux turbulent à la base des « ventres », notamment par la présence de rotors ou de rouleaux. La position de ceci, se fait en général à l’aplomb des nuages lenticulaires évoqués précédemment.
Figure 13 : image visible du 13 avril 2014, montrant la formation de vagues nuageuses en aval du massif central.
Figure 14 : phénomènes ondulatoires en aval d’un relief.
Ces phénomènes ondulatoires n’ont pas que des inconvénients. Ils permettent aux amateurs de vol à voile de grimper très haut dans la troposphère, en utilisant les mouvements ascendants.