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Fuck the desert 2 (l'Aéropostale pour les nuls) !

Article paru dans ULMiste n°22, janvier 2016

 

Fuck the desert 2 (l'Aéropostale pour les nuls

 

Frédéric Fauveau

 

 

Dans ULMiste n° 18, Frédéric nous racontait les préparatifs de son voyage sur les traces de l’Aéropostale et sa première tentative avortée. Y arrivera-t-il cette fois-ci ?

 

Vendredi 4 septembre : Coustellet-Toulouse

 

Il est des signes qui ne trompent pas : des démarches administratives interminables, deux mois de galères pour refaire le tableau de bord, courir dans tous les sens, solliciter l’aide de tous les copains pour la découpe, la peinture, le branchement radio/intercom qui résiste et m’oblige à revenir à un modèle « volant », un allumage en rade à une semaine du jour J et  cerise sur le gâteau, une visite l’avant-veille du départ dans un atelier d’avionique sur Aix-les-Milles à essayer de comprendre pourquoi le transpondeur a décidé, pile maintenant, de ne plus fonctionner…

Aussi ne suis-je que moyennement surpris le jour du départ que la météo nous oblige à un déroutement de dernière minute, un plan qui se déroule sans accroc n’est pas vraiment un plan…

 

Dans ma cuisine, Jean-Luc, qui a préparé toute la navigation, n’est pas vraiment jouasse, je le comprends mais il n’y a pas 36 solutions ; ou on attend que la météo s’améliore et alors là adieux Cap Juby car nous avons posé nos deux semaines de congés ou bien on s’adapte, on fonce dans le tas et on contourne, en sécurité bien sûr.

Stéphan Hilairet, notre routeur, nous conseille donc d’éviter la Méditerranée et de passer plutôt par Toulouse, Pau,  Pampelune et de longer la frontière portugaise pour atteindre le Maroc.

Banco ! Contact, moteur, ça tourne ! Décollage 15 h direction Toulouse, enfin pas tout de suite car les parasites dans les super casques Bose ANR prêtés pour l’occasion rendent la communication avec le contrôle difficile, aussi la mort dans l’âme nous faisons demi-tour pour récupérer mes casques habituels beaucoup moins confortables. Etrangement je ne suis qu’à moitié surpris…

Redécollage, c’est un peu mieux mais pas folichon. Voyage sans encombre jusqu’à la périphérie de Toulouse et là, The boulette ! Au lieu de contacter Toulouse info, je prends contact directement avec Francazal (grave erreur) où nous devons atterrir. La communication est très mauvaise, j’annonce mon cheminement sans réaliser que celui-ci me fait légèrement pénétrer la CTR de Blagnac… A notre arrivée nous avons droit à un accueil personnalisé de l’agent AFIS, je le suis à la tour et il me passe directement le contrôleur de Blagnac… pour une explication de texte cordiale mais méritée, c’est comment déjà ? Ah oui, un plan qui se déroule sans accroc…

 

Je ne suis pas vraiment joyeux, mais ne peux m’en prendre qu’à moi. Il est vrai cependant que la perte de communication à ce moment crucial du vol est vraiment déstabilisante.

 

Samedi 5 septembre : Toulouse-Toulouse

 

Après une nuit réparatrice dans la famille nous repartons le moral gonflé à bloc en espérant que ces problèmes radios ne sont dus qu’à de faux contacts passagers.

Hélas, il n’en n’est rien, et nous reposons sur l’aérodrome après une minute de vol, un record qui nous permettrait presque de graver nos noms sur la plaque en marbre…

C’est un grand coup sur la tête que nous prenons car sans radio impossible de passer les frontières et de voler au Maroc. Fucking Morocco tour 2015, ce titre que j’avais choisi par autodérision commence à prendre pleinement son sens…

En même temps quand on s’est autoproclamé « les pieds nickelés sur les traces de St Exupéry », y a pas tromperie sur la marchandise…

Jean Luc se remet sur la navigation pour envisager différents scenari et moi je prends les pages jaunes pour contacter des boites d’avionique sur le coin, évidement toutes fermées car nous sommes samedi. Je fais un rapide calcul, si je trouve un réparateur lundi qui répare dans la journée nous ne pourrons repartir que mardi. Autant dire que pour Cap Juby c’est plié. Une colère m’envahit à ce moment-là en pensant à la radio de secours qui dort dans le tiroir d’un copain qui ne vole plus mais prétend qu’il pourrait en avoir besoin. Un fétichiste sans doute…

Il faut reconnaitre qu’à cet instant précis j’ai perdu l’espoir et mon sens de l’humour avec, mais la vie n’est pas avare de surprises et parfois de bonnes.

 

Le team Cricri  est sur le terrain pour tourner un film de leur évolution, une quinzaine de personnes assiste à une scène assez insolite : deux 4x4 roulent sur la piste de Francazal, sous la camera attentive d’un drone, avec sur leur toit respectif un Cricri. Les avions décollent simultanément et font du vol de patrouille, un Cessna les suit pour filmer.

A leur retour on me présente un des deux pilotes, Lionel Adroit. Je lui explique mon souci et mes craintes que le « fabuleux » périple  ne commence et finisse à Toulouse. Dans un premier temps il me prête une antenne pour que je fasse des essais et finalement me laisse une radio en refusant un chèque de caution ou que je lui montre ma carte d’identité. La classe… grâce à lui Fucking Morocco tour 2015 c’est reparti et j’ai envie de hurler ma joie !

 

Dimanche 6 septembre : Toulouse-Marugan

 

Décollage de Francazal aux environs de 10 h et déjà notre nouvelle radio fait des siennes, Jean-Luc découvre que les interférences disparaissent dès que l’on débranche l’alimentation externe. Le seul hic c’est que Lionel n’avait pas le chargeur à nous prêter, nous sommes donc en sursis… Destination la petite base ULM de Luquet histoire de souffler un peu avant de passer les Pyrénées. En fait on va vraiment avoir le temps de souffler parce qu’après avoir redécollé j’ai un doute sur l’autonomie. Qu’à cela ne tienne, petit posé à Oloron où les vélivoles s’activent autour des planeurs. Aller à la station-service la plus proche nous ferait perdre du temps et je sens bien aussi que nos hôtes sont pressés d’aller voler, c’est légitime.

Nous faisons donc un complément de 100 LL et non le plein car au tarif en vigueur il m’a semblé voir rigoler le petit bonhomme vert de Cetelem (en fait c’est moi qui étais vert !)  Et du coup j’ai bien failli appeler son pote Cofinoga pour les mettre en concurrence…

 

Redécollage rapide car les pilotes du cru (toujours écouter le pilote du cru…) nous annoncent un développement nuageux qui va rapidement se souder devant les Pyrénées, aussi c’est sans remords que nous fouettons les 100 chevaux du 912 pour grimper le plus rapidement possible et passer on top, ça fait chic… Décidément trois traversées des Pyrénées et deux on top ! Jean-Luc a activé le plan de vol aussi nous passons la frontière sur le point de report prévu à cet effet  et passons avec le contrôle espagnol, ce qui est amusant car un ULM espagnol ne peut pas traverser un espace contrôlé en Espagne !

Les nuages se dissipent rapidement côté Espagnol et ma maitrise de la phraséologie dans la langue de Cervantes est mise à rude épreuve par la contrôleuse qui au bout d’un moment jette l’éponge et me parle en anglais …

Posé à San Torquato, nous sommes dimanche, le petit resto de piste est ouvert, ça et la première gorgée de bière sont du bonheur à l’état brut, une sorte de revanche sur le mauvais sort… Le plein est fait avec une essence bleue qui nous fait craindre une erreur mais en fait c’est un additif, décollage pour une base en périphérie de Madrid. Survol tranquille d’une plaine accueillante et nous posons à Marugan, magnifique base qui a accueilli les championnats du monde d’ULM en 2012. Nous reprenons une météo et décidons de poursuivre jusqu'à notre destination du jour. Une bonne pluie d’abord et des reliefs Madrilènes dans les nuages ensuite, nous font rebrousser chemin sans regrets car la base de Marugan est équipée pour accueillir les aérotouristes : hangars, chambres d’hôtel et voiture mise à disposition. Ah j’allais oublier, il y a un bar et une piscine…

 

Lundi 7 septembre : Marugan-Trebujena

 

J’ai emprunté hier soir un chargeur pour la radio, mais nous constatons rapidement que cela n’a pas fonctionné, il va falloir économiser sur les communications et surtout trouver un plan B…

Deux petites heures de vol sans autre soucis que de surveiller l’évolution météo et, magie de l’Espagne : j’ai envoyé hier un sms au responsable de la base ULM de San Benito, située à mi-chemin, lui disant textuellement « Bonjour nous sommes deux pilotes français en route pour le Maroc pouvez-vous nous fournir 35 litres d’essence ? » Et bien le gars est là tout sourire, il nous aide à faire le plein avec sa pompe à essence électrique montée sur un diable et quand je sors mon porte-monnaie pour régler, notre hôte se lance dans une explication compliquée pour me dire qu’il ne connait pas le prix de l’essence. J’insiste. En fait il veut tout simplement nous l’offrir, c’est sa façon à lui de participer à notre aventure, quand je vous parlais de magie…

Nous décollons le ventre vide mais l’excitation est telle que c’est vraiment secondaire, notre bienfaiteur nous a donné une foule de détails sur notre cheminement, détails que Jean-Luc a soigneusement notés et c’est une promenade de santé que nous effectuons à part toujours cette incertitude météo.

Trebujena se profile avec ses 1000 mètres de piste en dur, autant dire que malgré la fatigue qui commence à se faire ressentir, l’arrondi ne pose pas de problème majeur…

Nous sommes maintenant au pied du mur tout en bas de l’Espagne avec toujours en suspens notre problème de radio, et sans elle, adieu le passage du détroit et le survol du Maroc. A tout hasard j’envoie un texto à un ami ULMiste à Rabat, moins de 5 minutes après il me rappelle pour m’annoncer qu’il à l’Icom qu’il nous faut. Un deuxième petit miracle qui me donne envie de sauter de joie, Cap Juby en point de mire c’est toujours possible !  Antonio, le propriétaire des lieux, prévenu la veille (ça devient une habitude) nous rejoint un petit moment après, il m’emmène à la pompe, nous fait parquer dans son hangar et nous conduit dans une de ces pensions de famille avec restaurant et bar donc nous sommes excessivement friands… (Faites votre choix…)

Une fois notre linge donné à la maitresse de maison nous descendons au bar pour fêter ça et il y en a des choses à fêter : nous n’avons jamais été aussi loin, le fameux et redouté détroit est à un jet d’ULM et le posé sur notre destination finale  mythique de Cap Juby (et dont j’ai eu tellement de mal à obtenir l’autorisation) est toujours dans le champ des possibles. Cela représente vraiment quelque chose pour nous, à tel point que j’ai embarqué trois exemplaires du Petit Prince (tant pis pour le poids…), ces livres inspirés à St Ex par Cap Juby. Nous les ferons tamponner sur place avec dédicaces en prime pour nos fils respectifs.

 

La fatigue plus les quelques bières, vous imaginez bien que c’est d’un pas hésitant que nous quittons le bar pour aller visiter la vieille ville avant les tapas du soir et… quelques bières bien sûr, histoire, en les buvant, de faire tomber par avance la pression du lendemain… Organisation bien rodée maintenant, Jean-Luc monte pour peaufiner sa navigation et moi je reste au bar, non pas pour boire, mauvaise langue, mais pour écrire le blog (l’aéropostale pour les nuls) et charger les photos. Je mesure dans ce bar désert maintenant, la chance que j’ai de réaliser mon rêve, demain évidement avec le passage du détroit, mais aussi chaque minute, chaque seconde de cette aventure.

 

Mardi 8 septembre : Trébujena-Rabat

 

Réveil tonique pour ne pas faire attendre Antonio qui doit nous amener à l’aéroport de Jerez de la Frontera pour faire les formalités douanières et déposer le plan de vol. Retour à la base de Trebujena, notre aimable correspondant prend congé, il a encore sa journée de travail à accomplir. Nous enfilons nos gilets de sauvetage et je me fume une dernière cigarette qui, sans être celle du condamné (faut pas déconner quand même !), n’en a pas moins une saveur particulière… petite photo rituelle et 40 minutes de vol après la cote est là, nous voilà enfin face à l’obstacle tant imaginé. Pour corser le tout la couverture nuageuse nous oblige à monter à 8500 pieds on top, histoire encore de se donner un peu de marge… Et il va en falloir car les Marocains qui nous ont pris en charge très rapidement nous obligent à un détour dantesque et au final c’est un peu comme si nous avions traversé trois fois le détroit…il va sans dire que nous écoutons le ronronnement du Rotax en dolby stéréo avec un recueillement qui force le respect et pour ajouter au stress ambiant les Marocains n’arrêtent pas de nous demander notre temps estimé pour chaque point de passage et même la radiale  en nautique par rapport à un point. Du grand art, heureusement que Jean-Luc assure comme une bête !

 

Une descente rapide dans une trouée et nous voici sous la couche avec un plafond à 1500 pieds, un nouveau surmar pour éviter un parc ornithologique et nous prenons la direction de Rabat à 600 pieds sol, assez excités à défaut d’être rassurés. Dans la vent-arrière, la radio décide de nous abandonner, corrida pour remettre l’ancienne toujours aussi pourrie et c’est donc a capella que j’effectue l’atterrissage sur une piste surchauffée en plein après-midi dans un vent travers arrière avec moult rebonds et dandinements qui ont de quoi laisser dubitatifs les pilotes les plus chevronnés…On nous envoie un Follow-me Car, la classe américaine ! Mais il vaut mieux car, après toutes ces émotions, j’ai du mal à faire la différence entre ma gauche et ma droite. L’avitaillement nous est fait par un semi-remorque qui tire en plus une petite citerne de 100 LL. C’est tellement disproportionné que je ne résiste pas et prends la photo.

 

L’ami de la radio est venu nous chercher et nous promène toute l’aprèm dans Rabat, la ville de mon enfance : resto « historique » de l’Agdal, une promenade sur l’embouchure du Bouregreg qui sépare Rabat de Salé et incontournable thé à la menthe et pâtisserie à la Kasbah des Oudayas. Je retrouve mes repères non sans une certaine émotion, nous avons du mal à réaliser que nous sommes arrivés jusque-là par nos propres moyens.

 

Mercredi 9 septembre : Rabat-Essaouira

 

Nous sommes partis calmement ce matin, trop peut-être, aussi nous ne décollons de Rabat que vers 13 h, non sans avoir découvert que par la magie du contrôle aérien notre étape du jour fera 525 kms au lieu de 330. Au train de sénateur auquel nous volons, cela fait une sacrée différence… Les paysages se succèdent, très vallonnés avec des forets clairsemées, c’est nettement semi désertique entre les vallées irriguées par les oueds, puis le vallonnement s’estompe et c’est le moment précis où Morphée me choppe par la colbac et m’emmène avec elle une quinzaine de minutes pendant lesquelles Jean-Luc, non content de prendre le manche, me prend en photo pour le dossier… Survol de Safi, premier port sardinier du pays, puis nous longeons la cote, essayant de coller à l’imaginaire de la ligne avec du sable à gauche et de la mer à droite… Nous descendons aussi bas que les mouettes nous le permettent et faisons un 360 sur un magnifique fortin, isolé, surplombant la mer ; on se sentirait presque les pilotes de Daurat dans ces moment-là.

Le petit vent dans le dos de 15km/h a un peu endormi ma vigilance, ou peut-être sont-ce les quatre heures de vol en continu, quoi qu’il en soit je ne prête pas suffisamment attention aux infos de la contrôleuse qui exprime le vent en nœuds et 25 nœuds pas dans l’axe, ça commence à faire…

L’impression est vraiment bizarre à l’atterrissage façon boule de flipper et le roulage est pire encore, Jean-Luc est obligé de descendre pour tenir l’aile. L’appareil attaché, nous traversons l’aéroport désert et j’ai bien besoin de ces quelques kilomètres de marche pour refroidir…

 

Jeudi 10 septembre : Essaouira-Essaouira

 

Journée de repos forcé à cause de la météo vraiment capricieuse, le choix est cornélien : brume le matin ou vent fort l’après-midi et pour le vent nous avons déjà donné… Gros point météo entre Jean-Luc et le météorologue de l’aéroport ravi de parler à son deuxième pilote en deux ans de présence… La matinée y passe et nous retournons en ville pour un peu de tourisme et en croisant les doigts pour que demain l’aventure vers Cap Juby continue.

Vendredi 11 septembre : Essaouira-Tan-Tan

Nous avons eu Sadat (le responsable du musée St Exupéry de Cap Juby)  hier au téléphone. Il a mis la manche à air en place et je crois qu’il a tracé l’entrée de la piste à la chaux, on pourrait presque dire à l’ancienne d’autrefois… en même temps les nouvelles météo ne sont pas encourageantes et la mort dans l’âme nous décidons de commencer notre retour car cela ne passe pas. Mais en déposant le plan de vol, la contrôleuse (a-t-elle senti mon infinie tristesse ?), nous assure que les conditions sont acceptables sur Agadir et je sens bien que Jean-Luc, pas convaincu, cède pour me faire plaisir. En même temps craquer à trois mètres du bol de Sangria…

Alignement, décollage, je recommence à croire à l’inaccessible étoile.

 

L’aventure continue...

 

A suivre...

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